La littérature jeunesse à l'école

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Guy Jimenes (Le questionnaire)

Guy Jimenes    

http://guyjimenes.net

 

1. a.Que signifie, que représente pour vous d’écrire pour la jeunesse ?

Je ne sais pas très bien ce qu’est « écrire pour la jeunesse », bien que depuis le milieu des années 70 j’aie eu le temps de réfléchir à cette question !... Je reste d’ailleurs partagé entre deux tendances qui s’affrontaient à l’époque : celle de François Ruy-Vidal (« Il n’y a pas de littérature pour enfants, il y a la littérature »), et celle d’Isabelle Jan, dans son très belEssai sur la littérature enfantine, pour qui existe incontestablement une spécificité. (Notons au passage que « d’enfantine », cette littérature est devenue « de jeunesse », ce n’est pas anodin, mais c’est une autre question.)

Quelque chose dans la littérature estampillée « jeunesse » me touche plus particulièrement, me renvoyant à ma propre enfance, et je revendique d’être « un auteur jeunesse ». Mais j’écris avant tout pour moi, pas exactement « pour les enfants ».

Mon dernier livre, L’enfant de Guernica, est paru chez Oskar jeunesse dans une collection « grands ado ». C’est un roman de 200 pages, tout à fait contemporain, ancré dans l’histoire de la Guerre d’Espagne. À Orléans près d’où je vis, les libraires d’une grande maison étaient embarrassés pour le placer : d’abord en littérature générale mais je ne suis pas un « auteur adulte », puis côté « romans jeunesse » mais le livre semblait trop austère. Résultat : ils l’ont rangé –provisoirement ?- parmi… les livres d’art !

La façon dont l’édition française est compartimentée fait que cette double identité de mon roman qui pourrait être un atout le pénalise, lui vaut de n’être identifié ni d’un côté ni de l’autre.Je rêve d’une littérature sans frontière !

 

b. Que cela implique-t-il également ?

Il s’agit d’amener les lecteurs, mais d’abord moi-même comme auteur, à une certaine profondeur, à des questionnements. C’est très présomptueux, peut-être même prétentieux, mais tant pis. Je n’écrirais pas sans cette ambition : être juste, c’est-à-dire, au plus près de ce que je ressens, m’exprimer au moyen d’une histoire, de personnages, d’une façon que je voudrais efficace et touchante. C’est plus ou moins difficile. C’est passionnant.

 

2. Que peut apporter la littérature de jeunesse à l’école ?

La littérature permet à la fois une plongée (en soi même et dans le monde – via le rêve, la science, la psychologie, l’histoire, la géographie, …) et une mise à distance. À la fois, elle nous divertit et nous construit.

Une bonne fiction permet d’emmener dans l’exploration de l’humain et des interrogations fondamentales, existentielles, que nous avons tous. Les enfants ont bien entendu ces interrogations. Et les enfants vont à l’école…

 

3. La littérature de jeunesse à l’école, doit-elle se faire avec les auteurs ?

« Doit-elle », je ne sais pas, formulé de façon aussi péremptoire. Et sûrement pas exclusivement : enseignants, bibliothécaires sont aussi des passeurs. Mais ma réponse est oui : l’auteur me semble bien placé pour échanger avec les enfants dans un cadre scolaire. Cependant, je ne crois pas que l’écrivain en tant que tel soit jamais totalement présent dans ces situations de rencontre. Le lecteur fait le livre intimement et il y a autant de lectures que de lecteurs. Je ne crois pas qu’auteur et lecteur se rencontrent jamais vraiment. Par contre, l’auteur dans la classe peut témoigner d’un métier, apporter des informations comme le ferait tout autre professionnel, parler avec passion de son rapport à la littérature. Il a aussi, bien sûr, des compétences particulières liées à l’écriture.

 

4. a. Que peuvent apporter les auteurs lors de leurs interventions ?

La rencontre a lieu dans un contexte pédagogique. Je ne le perds jamais de vue. Je suis en tant qu’écrivain invité et accueilli par un ou des enseignants dans le cadre de l’école. C’est pour moi fondamental. La rencontre est « tripartite » : enseignant-élèves-écrivain. Un seul élément manque (d’intérêt, de présence, d’investissement, de préparation) et la rencontre ne fonctionne pas ou perd du sens.

De ce fait, l’auteur que je suis se place au service de lavie de la classe, contribuant d’une façon ou d’une autre à la démarche pédagogique de l’enseignant. Ce qui n’empêche pas, le cas échéant, d’en être critique, de l’infléchir. En règle générale, je m’adapte à ces contextes, à ces demandes qui peuvent varier sensiblement d’une classe à l’autre.

N’étant pas moi-même pédagogue, j’apporte autre chose, une écoute et une disponibilité particulière. Il n’est pas rare qu’un enseignant me dise avoir été surpris par le comportement inhabituel d’un élève pour qui la rencontre a déclenché une nouvelle appropriation de la lecture ou de l’écriture. On espère toujours que ces rencontres peuvent déclencher quelque chose de cet ordre.

 

b. Quelles modalités permettent de rendre efficaces ces interventions ?

Il s’agit de creuser les questionnements, d’aller au-delà des apparences.

Il faut préciser que ces rencontres peuvent être de deux sortes : celles où l’auteur dit (jeu des questions-réponses, du dialogue, de l’échange autour du métier ou des livres), et celles où l’auteur et les enfants font (ce qu’on regroupe sous le terme « ateliers d’écriture» qui peuvent revêtir bien des formes).

L’efficacité ne relève à mon sens que d’une chose : la motivation des uns et des autres. Ces rencontres nécessitent une préparation en amont. Donc une attente.

Il faudrait entrer dans le détail des modes de préparation. À l’évidence aussi les élèves doivent avoir une connaissance des livres. Une correspondance préalable avec la classe que je vais rencontrer me paraît souhaitable, voire indispensable, pour préciser le projet. Dans l’hypothèse de l’élaboration d’un questionnaire, la classe peut très bien trouver beaucoup de réponses par elle-même grâce à des outils bibliographiques. Mon site personnel via l’Internet sert à cela. Et de fait, plutôt que de vous demander « Vous avez toujours le même illustrateur ? », les enfants vontpouvoir vous demander : « Nous avons découvert que vous n’avez pas toujours le même illustrateur ou le même éditeur. Pourquoi ? » C’est beaucoup plus intéressant. J’ai horreur cette situation heureusement exceptionnelle où un enseignant vous dit : « Je n’ai rien préparé pour préserver la spontanéité » Je n’y crois pas une seule seconde et je me dis en moi-même : « Tu n’as pas préparé parce que tu n’en as rien à faire. »

 

c. Et inversement, que vous apportent ces rencontres avec les enfants ?

Elles contribuent à faire connaître mes livres (mais si on m’a invité c’est qu’on les connaissait déjà…) Je fais relativement peu de rencontres et, en ce qui me concerne, les effets de l’auto promotion restent très mesurés. Étant rémunérées, ces rencontres me permettent aussi de recevoir des droits d’auteurs complémentaires dit « droits dérivés » (dans la limite des 4000 euros annuels autorisés par l’Agessa).

 

Plus profondément : ce n’est pas « inversement » que je conçois votre question. En réalité, 4 a et 4 c relèvent pour moi de la même chose : il s’agit avant tout d’un échange. Un exemple sera plus parlant : j’ai vécu l’année dernière deux expériences d’écriture qui m’ont particulièrement remué avec deux classes (6ème et 4ème ). C’est assez difficile de dire en quelques mots pourquoi, et c’était très différent dans chacun des cas. Avec les 6ème, disons que notre réussite commune (enseignants, enfants et écrivain) ressortit au travail bien fait, à l’artisanat accompli à la fois avec sérieux et sans se prendre au sérieux, en « bonne intelligence », avec une dimension de jeu et une adéquation des rôles, beaucoup de mobilisation, de concentration... On est entier à ce qu’on fait et cela amène à quelques moments de grâce. Ça nous porte, nous nourrit, nous grandit.
Avec les 4ème, le succès de l’entreprise a consisté aussi en cela, mais la manière en a été différente : il se trouvait dans cette classe des adolescents connaissant des difficultés familiales, affectives. Automatiquement, quelque chose de leur vie rejaillissait dans la fiction qu’ils écrivaient. Notre réussite, cette fois, aura été de tenir à distance ces vécus personnels tout en élaborant à partir d’eux une fiction « extérieure » (de la fonction symbolique des récits et des vertus cathartiques de l’écriture…)

Quand je me rends à une rencontre, je sais qu’elle est porteuse potentiellement de ce genre d’échange, d’une expérience humaine partagée. Que je peux en revenir enrichi.

Ça n’arrive pas toujours, loin de là. Mais si je ne sentais pas cette chance ouverte, je n’irais pas.

Rencontrer les enfants, les adolescents dans le cadre scolaire est très intéressant pas seulement pour l’écrivain et aussi pour le citoyen que je suis aussi. L’école est un lieu névralgique en prise directe sur bien des enjeux de notre société. J’ai été passionné l’année dernière par des rencontres successives autour d’un même de mes livres qui était lu très différemment suivant les quartiers et les milieux sociaux.

 

d. Avec les enseignants, ou les autres médiateurs du livre ?

J’ai en partie répondu plus haut : le « tripartisme » des rencontres implique… l’implication de l’enseignant(e) ou du (de la) bibliothécaire. Du coup, l’échange est aussi avec elle ou lui. Ainsi, j’ai mieux compris récemment, en discutant avec un professeur de français de collège qui m’accueillait, en quoi certaines collections calibrées, ciblant un public très précis, pouvaient paradoxalement permettre aux auteurs une liberté de ton et d’écriture. Un autre enseignant m’a adressé une sorte de bilan d’après rencontre : les impressions spontanées et directes de ses élèves, pas toujours favorables, qui m’ont énormément intéressé et appris sur moi-même. Je pourrais donner d’autres exemples.

 

Mais je voudrais profiter de cette question liée au médiateurs du livre pour à mon tour poser un questionnement : je suis frappé par une certaine représentation assez installée de la littérature pour la jeunesse, reposant sur la notion de « livres qui dérangent » et définissant du coup en les opposant : d’un côté une littérature noble, bonne et rare, subversive, iconoclaste, pourfendeuse de tabous ; de l’autre une sorte de sous-littérature « gratuite » et de tout-venant, sans intérêt... J’entends bien qu’une simplification de ce genre soit pratique et opératoire, surtout dans une époque où paraissent tant de livres, mais je note aussi que quelques-uns de ces « livres qui dérangent » sont survalorisés et en réalité bien convenus !

Et si les véritables tabous, par définition, n’étaient pas ceux qu’on nous annonce ? Et si la littérature ne dérangeait pas forcément là où on le dit ?

Voilà, c’était ma minute « tâchons de penser par nous-mêmes,gardons un jugement et une parole libres ! ».