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Autour du livre - Rencontrer un auteur par Bernard Friot

Le point de vue d'un écrivain Bernard Friot

 Je voudrais aborder la question des rencontres entre auteurs et enfants de mon point de vue d'écrivain, dire comment ces rencontres interviennent dans mon travail d'écriture et comment c'est par ces rencontres que je suis devenu auteur, comment j'ai peu à peu sous cette étiquette construit une identité sociale et professionnelle.

Une occasion pour l'auteur de construire une identité sociale et professionnelle

Il s'agit bien tout d'abord d'un problème d'identité : qui est là, devant les enfants (et les adultes) lors d'une rencontre entre auteur et enfants ? comment se définit la personne qu'on a invitée et qui dispose d'une heure pour dire ce qu'elle est et ce qu'elle fait ? quel conflit d'images se joue pendant cette rencontre ? Car l'écrivain a une image de lui-même, de son activité, image qu'il a peu à peu construite, notamment au travers des rencontres avec des lecteurs, enfants ou adultes. Les enseignants et bibliothécaires qui l'ont invité se font eux aussi une image de l'écrivain et de l'écriture, et ils la transmettent peu ou prou aux enfants - qui en réalité se posent spontanément peu de questions et ne sont pas, sauf exception, les initiateurs de la rencontre.

En tant qu'écrivain, il n'est pas aisé de définir son identité professionnelle. Aucune étude, aucun diplôme ne vous font devenir écrivain. Être écrivain, ce n'est donc pas vraiment un métier. Enseignant, au contraire, c'est un métier clairement repéré par un cursus universitaire, un concours, une formation, des associations professionnelles, une culture professionnelle, un statut, des horaires…Curieusement même, il n'est pas de bon ton d'évoquer la possibilité d'une formation pour les écrivains. Alors que cela existe pour les compositeurs, les plasticiens, les illustrateurs et même, dans le domaine de l'écriture, pour les scénaristes. Cela renvoie à une image, largement partagée (et pas seulement par des écrivains) de l'écrivain inspiré, possédant un don singulier, le différenciant des autres, des non-écrivains. Rien n'oblige à adhérer à cette image, mais force est de constater qu'elle existe et qu'elle est aujourd'hui dominante. Il s'agit là encore d'une représentation qu'aucun écrivain ne peut ignorer, car, implicitement, quand il rencontre des lecteurs, il lui est demandé de l'incarner.

L'écrivain, et l'écrivain pour la jeunesse en particulier, est donc contraint de s'auto-former et de développer seul un savoir sur son écriture. Chacun élabore son propre dispositif, sans toujours disposer des outils théoriques pour évaluer sa propre pratique, aussi bien en ce qui concerne sa maîtrise technique que le sens qu'il donne à sa pratique d'écrivain

Un autre aspect de la représentation dominante de l'écrivain pour la jeunesse s'exprime dans une formule très en vogue actuellement, formule qui trahit un désir de reconnaissance en même temps qu'elle s'inscrit dans un mouvement de légitimation de la littérature de jeunesse porté par de nombreux médiateurs. Il s'agit de la formule : " un-vrai-écrivain " (les tirets sont importants). On la trouvera, par exemple, dans plusieurs articles d'un numéro de La revue des livres pour enfants consacré au " Littéraire en question "(1) mais elle fleurit aussi très régulièrement dans d'autres revues spécialisées ou dans les pages du supplément littéraire du journal Le Monde. Cette formule établit implicitement une distinction en " vrais " et " faux " écrivains. Qu'est-ce qu'un vrai écrivain pour la jeunesse ? En recoupant les contextes où apparaît la formule, on peut le définir ainsi :

Premièrement, le-vrai-écrivain pour la jeunesse n'écrit pas pour la jeunesse ! Cela peut sembler paradoxal, mais signifie tout simplement que ce-vrai-écrivain ne vise pas un lectorat précis, ne se pose pas la question de ce qui peut intéresser le jeune lecteur, ni même ne s'efforce de connaître les aspirations, le mode de vie, les modes d'expression de ceux qui sont (quand même) censés le lire : il écrit en fonction d'une impérieuse nécessité intérieure ; s'il faisait autrement, il serait fatalement amené à produire de la " littérature fabriquée ".

Deuxièmement, le-vrai-écrivain pour la jeunesse écrit parce qu'il ne peut vivre sans écrire, posture qui n'a d'ailleurs rien d'original puisqu'elle reprend ce qui est devenu un cliché, tant on entend la formule dans la bouche des écrivains pour adultes.

Troisièmement enfin, le-vrai-écrivain publie chez un-vrai-éditeur censé ne publier que les livres qu'il aime sans aucun souci commercial ou de rentabilité - discours n'a rien de réaliste, car si son éditeur n'était pas aussi un bon gestionnaire, il ne toucherait jamais de droits d'auteurs et, surtout, il n'aurait guère de lecteurs !

Mon propos n'est pas d'analyser ce discours dominant, ni de montrer comment et pourquoi il se constitue. Mais c'est bien à partir de ce discours que je suis amené à me situer et à penser mon propre rapport à l'écriture et aux lecteurs.

L'écriture est une activité privée, que l'on exerce chez soi, et qui se montre difficilement (l'illustrateur, au contraire, peut montrer devant une classe comment il travaille, il a des outils à montrer, des esquisses immédiatement lisibles). Mais écrire pour être publié, c'est prendre la parole, faire acte de pouvoir, s'imposer et prétendre d'être écouté : j'écris et je me fais publier, donc j'occupe un espace public. Or cet espace est limité, il n'y a pas de place pour tout le monde (tous ceux qui ont une pratique privée d'écriture ne sont pas publiés). Qu'est-ce qui justifie cette captation d'intérêt ? Qu'est-ce qui justifie que ma parole recouvre d'autres paroles ? Ces questions, je les ai résolues dans la réflexion sur la relation à mon public. J'écris pour un public et avec ce public. Les rencontres même ont précédé l'écriture : c'est parce que je rencontrais des enfants, que je travaillais avec eux que je me suis mis à écrire pour eux. Je suis en somme un écrivain public parce que j'écris non seulement pour un public, mais à partir de ce public lui-même.

Une occasion pour l'auteur de nourrir son écriture

Tout d'abord, les rencontres nourrissent ma motivation à écrire. J'ai sans cesse besoin de me dire : oui, tu peux écrire, tu a le droit d'écrire, cela a un sens pour d'autres que tu écrives. Il y a une attente d'histoires chez les enfants, attente de rencontres avec des adultes dans l'imaginaire. Écrire des histoires, c'est donc la possibilité de prolonger des rencontres. Une vraie rencontre, cela suppose qu'il y ait échange, dialogue, et donc qu'il y ait une double parole : une parole d'enfant et une parole d'adulte, qui se construisent l'une par rapport à l'autre. Cela m'amène à interroger cette motivation : pourquoi écrire pour la jeunesse, et non pas pour les adultes ? Cette question n'est pas facile. À qui écrire, à quel enfant écrire ? On peut donner des réponses diverses. Je pense à la réponse de François Place : "j'écris pour l'enfant que j'ai été". Moi, je ne donne pas cette réponse. Même si c'est à travers l'enfant que j'ai été, je revendique d'écrire pour les enfants d'aujourd'hui.

Ces rencontres me fournissent également sans cesse des thématiques, des images, des impressions, des émotions. Rencontrer des enfants, c'est voir des visages, croiser des regards et ces visages, ces regards sont extrêmement expressifs. Cela veut dire aussi qu'on vous regarde et qu'on vous dit des choses en vous regardant. Tous les enfants ne disent pas la même chose. Il y a aussi des paroles, énormément de paroles, quand on les cherche, quand on vient pour les entendre. Souvent les enseignants s'étonnent qu'un enfant ordinairement muet ou réservé s'exprime brusquement devant un inconnu. Cela dépend des questions avec lesquelles arrive l'écrivain. Moi, j'arrive avec des questions souvent très précises et je demande aux enfants : racontez-moi des histoires sur tel ou tel sujet. Et puis il y a des tas de choses que l'on voit, que l'on observe, par exemple dans les moments de récréation. Il y a un double mouvement d'observation et en même temps d'introspection : les paroles entendues, les choses vues réveillent des souvenirs personnels, des impressions enfouies qu'on va chercher volontairement pour mieux entendre ce qui se dit. Parfois, il vaut mieux oublier certaines grilles de lecture et se dire : si j'entends ça, si je vois ça, c'est parce que ça réveille quelque chose qui fait sans doute partie de l'expérience humaine commune. Et ça me donne l'autorisation de parler de choses personnelles parce que je découvre qu'elles font partie de l'expérience partagée. Ce n'est donc jamais seulement moi qui parle.

Ces rencontres me permettent aussi de confronter l'imaginaire enfantin tel qu'il s'exprime aux règles de la fiction telles qu'un adulte peut les maîtriser. Un écrivain dispose d'un certain nombre d'outils narratifs acquis par la lecture ou par l'expérience d'écriture et qui sont les codes dominants du récit à un moment donné dans une culture donnée. Le travail avec les enfants permet d'assouplir, d'ouvrir ces modèles, parce qu'on est en dialogue avec des enfants qui ne maîtrisent pas complètement ces modèles et qui, à cause de leur incompétence, inventent leur propre façon de raconter.

Écrire pour les enfants me donne certaines libertés formelles, en même temps que cela m'impose certaines contraintes. La première est celle de la lisibilité : il faut d'abord trouver les moyens d'être compris. Par exemple à travers les blancs : on peut dire les choses par des blancs, par des ruptures. Le travail de la lisibilité, pour moi, c'est un travail de la densité. J'ai compris peu à peu que pour être lisible, il faut être dense, c'est-à-dire qu'il faut de la matière. Un des éléments qui vont créer la cohérence, ce sont les affects que provoque le texte. Si l'enfant "rentre" dans la situation, dans l'émotion que vous voulez évoquer, il comprend plus facilement le texte. Il y a donc intérêt à éliminer ce qui gêne la compréhension de surface pour concentrer le travail sur des niveaux plus profonds. Autrement dit, il faut détourner l'attention vers l'intérieur du texte, utiliser les capacités d'identification du jeune lecteur et aussi sa tendance à réécrire spontanément le texte pour mieux s'y inclure. C'est pourquoi il n'est pas toujours facile de tester la compréhension d'un texte. Pour moi, l'important n'est pas que le jeune lecteur soit capable de résumer l'histoire, mais qu'il ait perçu de quoi au fond parlait le texte, et qu'il se raconte à travers cela.

Ce qui m'intéresse aussi dans la rencontre avec les enfants, c'est de remettre les textes en mouvement. Le texte publié est en effet figé, fixé, fini. On n'y touche plus. Et c'est comme ça que les enfants le considèrent, parce que c'est comme ça qu'on le leur fait lire. On leur dit rarement qu'un texte publié peut être imparfait. C'est pourquoi j'aime évoquer mes remords quand je lis avec eux un texte publié et montrer que le texte est perfectible. Les erreurs d'interprétation ne sont pas toutes le fait du lecteur, elles sont aussi provoquées, programmées sans le vouloir par l'auteur. L'idéal c'est de travailler avec les enfants sur des textes " en chantier ", en train de se faire et donc encore mouvants, pour leur montrer quelques aspects de la création littéraire, sa fragilité, son caractère aléatoire. Un texte n'est finalement qu'un instantané qui dépend du moment où il est écrit : quelques minutes plus tôt ou plus tard, la même histoire ne sera pas écrite exactement de la même façon. Et c'est à la lecture de redonner mouvement au texte, de le mettre en vibration et de lui rendre sa part de hasard et d'incertitude.

Est-ce que je peux être écrivain devant les enfants, c'est-à-dire au moment où je rencontre les enfants ? Lorsque j'échange avec des enfants autour d'un livre déjà édité, je ne suis pas exactement la personne dont le nom est écrit sur la couverture. L'auteur d'un livre publié est en fait multiple, puisque de nombreuses personnes sont intervenues sur le texte de l'écrivain, l'ont mis en forme, l'ont illustré éventuellement, ont rédigé un paratexte, etc. En ce sens, on peut dire que tout texte publié est un texte collectif. L'écrivain est chargé de représenter cet auteur collectif. Et c'est pourquoi j'ai eu souvent l'impression de " jouer " l'écrivain, avant de comprendre que j'étais écrivain devant les enfants si les rencontres nourrissaient mon travail d'écriture. Mais je reste persuadé que la véritable rencontre se fait dans les textes et que la rencontre avec " l'écrivain en personne " n'a de sens que si elle prolonge et prépare ce dialogue silencieux avec l'autre, avec tous les autres, et soi-même, que permet la littérature.

1.La revue des livres pour enfants, n°206, septembre 2002.

Actes de l'université d'automne - La lecture et la culture littéraires au cycle des approfondissements
Direction générale de l'Enseignement scolaire - Publié le 12 mai 2004
© Ministère de l'Éducation nationale

 


Date de création : 24/11/2007 @ 16:29
Dernière modification : 24/11/2007 @ 16:29
Catégorie : Autour du livre


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